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Harcèlement scolaire : «On a minimisé la parole des victimes»

Harcèlement scolaire : «On a minimisé la parole des victimes»

LUNDI DE L'INA - Dans le cadre du prochain Lundi de l’INA intitulé « Harcèlement scolaire : de coupables à victimes », nous avons rencontré Jean-Pierre Bellon, professeur de philosophie, pionnier en France de la lutte contre le harcèlement scolaire et co-fondateur du Centre ReSIS, (Centre de Ressources et d’Études Systémiques contre les Intimidations Scolaires). Il nous explique comment et pourquoi le traitement médiatique du harcèlement scolaire a évolué depuis le milieu des années 1970.

Propos recueillis par Benoît Dusanter - Publié le 06.03.2024

La violence à l'école, un fléau souvent passé sous silence. Crédits : INA.

INA - Comment les médias audiovisuels français ont-ils couvert la question du harcèlement scolaire depuis les années 70 ?

Jean-Pierre Bellon - On a longtemps considéré le harcèlement scolaire comme un fait banal. Et ce n’est pas uniquement propre aux médias : il y a eu une négation du sujet par la société dans son ensemble. On a nié la réalité du harcèlement pour l’englober dans le problème de la violence en général, à côté des actes délictueux tels que les crimes ou les trafics en tous genres. Sur ce point, la responsabilité de certains sociologues et professeurs de sciences de l’éducation est gigantesque. Dans tous les autres pays, le phénomène était reconnu. Dès 1975, les pays scandinaves commencent à mettre en œuvre des traitements à ces problèmes. Chez nous, on a minimisé la parole des victimes comme si, au bout du compte, c’étaient de leur faute. C'est terrifiant quand on regarde cela aujourd'hui ! Et j’ai peur qu’on ne soit pas sortis de cette tendance à considérer les victimes comme responsables de ce qui leur arrive. On continue à dire : « Il est harcelé parce que… ». Non, on n’est pas harcelé « parce que » ! On est harcelé car il y a un effet de groupe que les professionnels n’ont pas voulu arrêter.

INA - Pourquoi cette omerta des pouvoirs publics à l’époque sur ces questions ?

Jean-Pierre Bellon - À mon sens, il y a deux raisons. La première est idéologique : ce n’était pas conforme aux standards de la pensée sociologique de l’époque, ni à celle d’aujourd’hui, d'ailleurs. Considérer qu’il y a une violence qui est strictement liée à l’école était totalement impensable, la violence devait être sociale ou familiale. À partir des années 1980, on publie des ouvrages sur la violence scolaire, toutefois ces livres évoquent la violence pénalisable, pas la violence au quotidien. Lorsque que je commence à travailler sur ces questions, en 1999, je découvre, sur le terrain, que, derrière la violence pénalisable, il y a autre chose : les brimades, les surnoms, les moqueries, les mises à l’écart… Tout un ensemble de petites choses qui, mises bout à bout, rendent la vie des jeunes gens parfaitement insupportable. Et c’est cela qu’étudiaient les scandinaves !

Le deuxième point, c’est qu’il n’y a pas assez de professionnels sur le terrain. Les cours de récréation sont toujours peu surveillées, il y a environ 200 ou 300 élèves pour deux adultes : comment voulez-vous que ça marche ? Je dis souvent que l’on est passé d’un silence coupable à l’indignation vertueuse. Hier, personne ne voulait voir, aujourd’hui tout le monde feint de s’indigner.

INA - À quel moment ce silence a-t-il été brisé ?

Jean-Pierre Bellon - Il faut attendre 2010 et la volonté du ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Luc Chatel, pour que soit mise en œuvre une réelle politique de lutte contre ce que les Anglais appellent le « school bullying ». C’est à partir de là que l’on va parler de harcèlement scolaire. Tant qu'on n'a pas mis des mots sur les choses, on peut difficilement les combattre. Cette prise de conscience va permettre la libération de la parole et de mieux prendre en charge les victimes.

INA - Quelle part jouent aujourd’hui les réseaux sociaux dans le harcèlement scolaire ?

Jean-Pierre Bellon - Les réseaux sociaux aggravent les effets du côté des victimes parce que le téléphone casse la barrière entre l’école et le domicile. Le domicile n’est plus protégé, il n’a plus cette fonction de refuge, les victimes sont donc encore plus fragilisées. Toutes les enquêtes internationales montrent que le cyberharcèlement accroit les risques à l’adolescence : conduite addictive, dépression, suicide. Il y a par ailleurs quelque chose qui est très spécifique, sur les réseaux sociaux : le mécanisme de surenchère amplifié par l’anonymat et l’absence de visage. Ce que certains s’autorisent sur les réseaux sociaux, jamais ils ne se l’autoriseraient en face à face.

INA - Comment lutter efficacement contre le harcèlement scolaire aujourd’hui ?

Jean-Pierre Bellon - Il n’y a qu’une chose qui est efficace, c’est l’intervention précoce des adultes. Une série d’enquêtes montre que le taux de harcèlement est directement corrélé au degré d’intervention des adultes de l’établissement, y compris dans les classes. Il a été montré que le taux de harcèlement varie d’une classe à l’autre et pas d’un établissement à l’autre. Dès que les adultes interviennent immédiatement, le taux de harcèlement chute et dans les classes où on laisse faire, qui sont les plus nombreuses, le harcèlement prospère... Il faut davantage d’adultes auprès des élèves dans les cours de récréation ou dans les couloirs. Tout le reste, c’est de la littérature.

Harcèlement scolaire : de coupables à victimes

Une séance préparée et animée par les étudiantes et étudiants du CFJ : Isaline Boiteux, Eudeline Boishult, Mathieu Lepeigne et Ossema Khemissi. Avec la participation de Catherine Verdier, psychologue pour enfants et les adolescents, et Jean-Michel Bellon, professeur de philosophie et co-fondateur du Centre ReSIS.

Rendez-vous lundi 11 mars 2024 à 19h au Centre de formation des journalistes (CFJ), Campus Paris
Université Paris-Panthéon-Assas 210, rue du Faubourg Saint-Antoine - 75012 Paris

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