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Pédagogie, curiosité et aventure : comment Fabienne Chauvière a popularisé la science sur France Inter

Pédagogie, curiosité et aventure : comment Fabienne Chauvière a popularisé la science sur France Inter

Fabienne Chauvière, créatrice et productrice de l’un des rendez-vous scientifiques emblématiques de France Inter, «Les Savanturiers», est morte le 11 février 2024 à l’âge de 64 ans. Retour en archives sur sa carrière et ses talents de vulgarisatrice scientifique.

Par Florence Dartois - Publié le 15.02.2024
 

Fabienne Chauvière, productrice radio d'émissions de vulgarisation scientifique est décédée le 11 février 2024 à l’âge de 64 ans. Retour sur son parcours et rencontre avec Hervé This, physico-chimiste, inventeur de la gastronomie moléculaire qui fut l'un de ses complices à l'antenne.

Dans une interview accordée à « Télérama » en 2021, Fabienne Chauvière décrivait ainsi sa relation à la radio : « Je me suis toujours sentie bien, à ma place, derrière un micro (...). C’est comme si je m’adressais à une personne que j’aime. Ce n’est pas aussi intimidant que de parler devant une foule, car, souvent, les gens écoutent la radio seuls. Je parle à chacun d’entre eux. J’aime leur raconter de belles histoires en jouant avec le son : ajouter de la musique, des jingles… J’ai quitté les journaux pour cette raison : être plus libre de créer grâce à mes programmes. »

Pourtant, ses premiers pas derrière un micro, elle les a faits à la télévision. Nos archives en témoignent.

Ses débuts à la télévision

1980. Fabienne Chauvière débute comme journaliste télé à FR3. On découvre son visage dans plusieurs éditions régionales, tantôt comme reporter (au festival de jazz d’Angoulême), tantôt en plateau interviewant des personnalités locales et politiques, face à Simone Veil ou comme présentatrice du journal. Comme ci-dessous, par exemple, aux côtés d'Henri Sannier dans le « Normandie Soir ». Nous sommes le 20 juillet 1981, Fabienne vient de fêter ses 22 ans. Elle présente « Les infos en rafale », un condensé d'actualités régionales et doit faire face ce jour-là à un incident technique.

Les infos en rafale
1981 - 00:00 - vidéo

Premiers pas à la radio en duo

Adieu la télévision : Fabienne Chauvière rejoint France Inter en 1992. À l'époque, Pierre Bouteiller est directeur de France Inter, il cherche à donner un ton neuf à l’antenne, à la féminiser aussi. Il propose à deux jeunes journalistes issues de la télévision : Marie-Laure Veyret et Fabienne Chauvière. Elles incarnent un « esprit "Canal +" assez proche de celui de France Inter à l’époque (...). Il souhaitait faire un pont et trouver de nouvelles voix » », explique Michèle Bedos, l’une des premières réalisatrices à travailler avec le tandem au début des années 90. Elle se rappelle que « les filles », comme elle les appelle encore aujourd'hui, apportaient de l’impertinence et de la fraîcheur au micro. La réalisatrice raconte qu’à leur arrivée, elles avaient suscité une certaine curiosité, mais « pas d’animosité ». Elle poursuit, « c’est vrai qu’on les a pas mal regardées comme des "petites souris" un peu étranges ». Elle ajoute immédiatement, « mais elles se sont intégrées assez vite ».

En 1992, les deux journalistes donnent le ton avec une émission au titre évocateur « Vade Retro ». Elles remplacent à l’antenne Daniel Mermet, le producteur de « Là-bas si j’y suis » qui s’est blessé. Voici à quoi ressemblait le premier volet de cette émission dont Paul-Loup Sulitzer était l’invité. La diffusion débute par un clin d’œil au producteur alité. Les deux « souris » l’appellent pour lui souhaiter un bon rétablissement, et vous allez l'entendre dans l'archive ci-dessous, le ton est vraiment original.

Elles coproduisent et animent encore les informations pratiques du « Bouillon de onze heures » (1994-1996), puis de « dix heures », avec le changement d'horaire. Marie-Laure Veyret traite des sujets sur la santé et les enfants. Et Fabienne Chauvière des questions de consommation. Derrière leur titre se cache encore une pointe d'ironie, puisque « donner le bouillon de onze heures » signifie, comme on le sait peu : empoisonner quelqu’un. Mais le ton de l'émission, lui, est plutôt ludique et bon enfant. Leur collaboration dure au total cinq ans.

Marie-Laure Veyret ne reste pas, mais Fabienne Chauvière, elle, s’installe sur la grille jusqu’à devenir une voix référence d’Inter. C’était son ambition, confie encore Michèle Bedos : « Je me suis replongée dans mes souvenirs. Je me souviens que Fabienne m’avait raconté qu’en arrivant à Paris, elle souhaitait tellement faire de la radio qu’elle s’installait dans les cafés en face en rêvant de mettre un pied à la radio ». Un rêve qui devient réalité, à force de volonté, et de beaucoup d’acharnement, comme le rappelle son ancienne réalisatrice : « C'est quelqu'un qui avait très, très envie de faire de la radio, qui avait des idées et qui travaillait ».

C'est parti en solo

France Inter, cette radio qu’elle aimait, elle ne l’a plus quitté pendant 32 ans. En 1996, Fabienne Chauvière anime en solo « Sur un petit nuage » (1996-1997) diffusé à 14h. Un appel « au rêve et à l'esprit vagabond », avec cette promesse intrigante : « Et pas besoin d'attacher vos ceintures, de toute façon, vous n'en reviendrez pas. »

L'année suivante, en 1997, on la retrouve aux manettes de « Tous terrains » (1997-1999), qui mélange entretiens et reportages. À l'image de cette rencontre avec Annie Van de Wiele, première femme à avoir fait le tour du monde à la voile à partir de juillet 1951.

Elle raconte cette aventure menée avec son mari Louis et un équipier sur un bateau sur l'Omoo, un ketch aurique de 13,80 mètres : l'ambiance des ports, le passage du canal du Panama, la difficulté de naviguer à l'époque. Comment elle s'était préparée pour ce tour du monde (surtout la lecture de livres et de manuels) et son absence d'expérience de la navigation (elle ne savait que barrer un petit bateau en rivière !).

« Pour démarrer, j'ai un problème : que dit-on la nuit, à deux heures du matin ? Bonsoir, bonne nuit, bonjour, coucou ? » Fabienne Chauvière n'hésite pas à occuper les ondes, même la nuit. En 2001, elle change d'horaire et anime « Contacts », dédiée aux auditeurs avec lesquels elle dialogue avec bienveillance. Pour sa première, le 9 septembre 2001, elle s'entretient avec Nathalie, une auditrice d'origine russe, qui a passé une petite annonce matrimoniale.

Spécialiste de la science

À partir de 2002, la productrice se spécialise dans la vulgarisation scientifique, un domaine qu'elle ne quittera plus : « Tout s’explique » (2002-2010) avec Denis Cheissoux, « Vues de l’espace » (2002), « Osmose » (2004-2008), « Les savanturiers » (depuis 2008), « Vivre avec les bêtes » (2010-2011) coanimée avec la philosophe Élisabeth de Fontenay.

Durant huit étés, l'émission « Tout s'explique » a réjoui les oreilles des férus de science et éveillé l'intérêt des autres, ceux qui s'y pensaient hermétiques. Denis Cheissoux présentant l'émission de juillet et Fabienne Chauvière, celle d'août. Comme elle sait si bien le faire, la productrice mixe interviews, reportages in situ et chroniques variées. Elle piste les scientifiques dans leurs bureaux, dans leurs laboratoires pour extraire la substantifique moëlle de leurs connaissances. Charge à elle ensuite, avec son talent de pédagogue communicative, d'en livrer la quintessence à ses auditeurs.

Curieuse du passé, comme du présent ou de l'avenir des sciences, Fabienne Chauvière se passionne également pour les archives et cède volontiers le micro à des chroniqueurs aussi passionnés qu'elle, et pas forcément habitués du micro. Durant huit ans, en partenariat avec ina.fr, elle offre aux auditeurs de découvrir des archives scientifiques insolites et inédites du fonds INA.

« Tout s'explique » Terrain d'expérimentation

Fabienne Chauvière possède ce talent de transformer la science la plus absconse en discipline alléchante. Pour la rendre attractive, le choix des invités est capital. Lorsqu'elle déniche un chercheur au talent de vulgarisateur, elle n'hésite pas à l'impliquer dans ses émissions. Personne n'a oublié Hervé This. Il avait tout pour lui plaire, un bagout hors pair, l'art de la formule et une science fascinante à son actif.

En 1988, il avait été l'un des deux créateurs de la « gastronomie moléculaire » qui connut un essor mondial spectaculaire. Cette nouvelle discipline a révolutionné la vision traditionnelle des aliments en appliquant à la cuisine les fondements de la science que sont l'expérience et le calcul. Cette nouvelle discipline étudiait les transformations physiques et chimiques qui se produisent, notamment, lors de la cuisson d'un aliment. Paru en 1992, le livre d'Hervé This, Les secrets de la casserole, devint même un best-seller vendu à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Il reste toujours une référence.

En lui proposant une chronique sur la gastronomie moléculaire dans « Tout s'explique », Fabienne Chauvière ne s'est pas trompée. Le succès a été immédiat. Le physico-chimiste né en 1955 fit les grandes heures de l’émission « Tout s’explique » entre 2002 et 2009.

Le sel rend-il le café meilleur ?
2002 - 01:29 - audio

Illustration de son talent de vulgarisateur avec une courte chronique sur le café salé.

Hervé This se souvient

Joint au téléphone, le professeur à AgroParisTech raconte comment a débuté sa collaboration avec Fabienne Chauvière avec émotion. Il évoque le jour où elle lui était « tombée dessus », et lui avait lancé avec sa spontanéité coutumière : « Hervé, serais-tu prêt à faire un truc » ? Il raconte : « Alors, j'ai dit "oui" » ! Ils ont beaucoup travaillé et la sauce a pris. Le scientifique le souligne avec fierté, encore aujourd'hui : « Et puis, ça s'était très bien passé. Et les auditeurs étaient au rendez-vous. » Le rendez-vous est pris pour l'été suivant, puis le suivant... Hervé This se souvient du challenge que cela représentait, « et il a fallu trouver une autre idée et une autre », et une autre encore...

De fait, leur collaboration estivale a duré sept ans. Lorsqu'il se remémore Fabienne Chauvière, celui qui devint pour elle chroniqueur scientifique, évoque sa personnalité attachante : « Moi, quand je pense à Fabienne, d'abord, je vois ses yeux bleus. Je vois son sourire et je vois son allant. Elle a toujours été très positive. Ça se sentait dans ses émissions ».

Hervé This retient aussi son écoute et sa capacité à se mettre en retrait au bénéfice de son invité : « Il n'y avait pas d'égo. Comme elle n'avait pas cet égo qui pousse à causer à la place de son invité, de fait, elle avait cette liberté de faire venir le meilleur de lui. En tout cas, ce qu'il fallait retenir de son invité. Et ça, c'est très important pour à la radio. » Il insiste sur son professionnalisme et sa grande maîtrise dans la préparation de ses émissions. Tout comme Michèle Bedos, citée plus haut, il décrit une grosse travailleuse : « C'est Fabienne qui concevait l'émission. Elle me donnait un thème. Et moi, je travaillais. Je travaillais beaucoup ! Je faisais des propositions et après, on appuyait sur le bouton. Mais c'est elle qui faisait l'équilibre de tout ça ».

Leur goût commun de la transmission était un liant puissant : « J'avais aussi fait beaucoup de vulgarisation avant, donc, on avait la liberté de faire autre chose. », insiste-t-il. L'enjeu était de simplifier le propos sans le rendre insipide : « Je ne disais pas de mots de plus de trois syllabes et quand j'en disais, je les expliquais. On était assez confortable dans cet exercice. »

Leur aisance commune, leur liberté de ton, furent sans doute à l'origine du succès de la chronique d'Hervé This. Parmi les nombreuses séquences qu'il a enregistrées pour Fabienne Chauvière, le papa de la cuisine moléculaire relate celle dans laquelle il a décrit sa « révélation culinaire », celle qui lui fit découvrir ce qu'on appelle le « constructivisme culinaire ».

Nous l'avons retrouvée et la partageons avec vous ci-dessous. Cette chronique a été diffusée dans « Tout s'explique », le 31 juillet 2006. Hervé This est accompagné au micro par le grand chef cuisinier Pierre Gagnaire. Ils partagent la recette moléculaire du saumon aux agrumes qui fut le déclencheur de LA révélation. Il est question des différentes sensations éprouvées selon que l'on déguste l'agrume ou le saumon en premier.

Constructivisme culinaire
2006 - 04:27 - audio

Les «Savanturiers»

Durant toutes ses années consacrées à la science, le credo de Fabienne Chauvière, c'est le partage avec les auditeurs. Grâce à son talent de passeuse communicative et à sa curiosité insatiable, elle donne une autre dimension, plus attrayante, au domaine scientifique, tel qu'on le présentait jusqu'alors à la radio. Convaincue que la science est avant tout une aventure, une affaire d'aventuriers, elle imagine un concept qu'elle décline à partir de 2008 dans l'émission « Les Savanturiers ». Devenue quelques années plus tard une chronique le week-end, elle a été reprise depuis septembre 2023 par Daniel Fiévet.

Derrière ce titre intrigant se cache un programme dans lequel la productrice entraîne l’auditeur dans l'intimité des scientifiques sur leurs terrains de recherche. Libérés de la peur du micro, ils acceptent volontiers de se livrer, de parler de leur passion et parfois de dévoiler leurs secrets. Et l'aventure commence...

Christian Zanési, compositeur au GRM de l'INA (Groupe de recherches musicales) fait écouter l'indicatif sonore de l'aéroport de Roissy créé en 1971 par Bernard Parmegiani, également membre du GRM.

L'ARCHIVE.

« Nous sommes à 12 mètres de profondeur, l'établissement est habillé de bois et de verre et est éclairé par un immense puits de lumière... » L'archive disponible en tête d'article est un large extrait des « Savanturiers » du 6 septembre 2008. Fabienne Chauvière se rend à la rencontre de Philippe Walter, chercheur au centre de recherche et de restauration des musées de France, laboratoire situé dans le Musée du Louvre.

Ce reportage est aussi l'occasion de visiter un endroit ultra-protégé : l’accélérateur de particules Aglaé, situé au 3ème sous-sol.

Avec Fabienne Chauvière, la science prenait chair, interrogeait, surprenait, faisait rêver, effrayait aussi parfois, mais ne laissait jamais indifférente. Et qui sait, sans doute a-t-elle aussi inspiré des vocations. Quelle plus belle tribune pour les scientifiques ? Et quel plus bel exemple de démocratisation du savoir.

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